Partage des responsabilités à l’égard des tiers dans le cadre d’un contrat d’affermage

Partage des responsabilités à l’égard des tiers dans le cadre d’un contrat d’affermage

Dans cet arrêt, la cour administrative d’appel de Douai précise les conditions de répartition des responsabilités en présence de dysfonctionnements d’un ouvrage d’adduction d’eau faisant l’objet d’un contrat d’affermage.

La rupture d’une canalisation souterraine d’adduction d’eau a provoqué l’inondation des propriétés avoisinantes, dont celle de Mme X., tiers à l’ouvrage. La société fermière du réseau par délégation du syndicat intercommunal des eaux, relève appel d’un jugement  2012 par lequel le tribunal administratif de Rouen l’avait condamnée à indemniser Mme X.

La cour rappelle qu’en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l’ouvrage, comme c’est le cas en matière d’affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante.

Ce n’est qu’en cas de concession d’un ouvrage public, c’est-à-dire d’une délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être recherchée par des tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de cet ouvrage. Le délégataire ou la personne publique délégante ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. (CAA Douai, 7 août 2013, n° 12DA01374)

Cf. l’arrêt reproduit ci-après:

Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2012, présentée pour la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux, dont le siège est 52 rue d’Anjou à Paris Cedex 8 (75384), par Me C…D… ; la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1003600 du 10 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Rouen l’a condamnée à verser à Mme B…A…la somme de 11 516,89 euros et à la société Matmut assurances la somme de 20 538,38 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2010 ;

2°) de mettre à la charge de Mme A…et de la société Matmut assurances la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 28 Pluviôse an VIII ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Olivier Gaspon, premier conseiller,

– et les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public ;

1. Considérant que, le 22 mars 2007 vers six heures du matin, la rupture d’une canalisation souterraine d’adduction d’eau sur le territoire de la commune d’Heudicourt (Eure) a provoqué l’inondation des propriétés avoisinantes, dont celle de MmeA… ; que la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux, fermière du réseau par délégation du syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand, relève appel du jugement du 10 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Rouen l’a condamnée à verser à Mme A…la somme de 11 516,89 euros et à son assureur, la société Matmut assurances, la somme de 20 538,38 euros ;

Sur la subrogation légale de la société Matmut assurances :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-12 du code des assurances : ” L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur (…) ” ;

3. Considérant que l’assureur Matmut produit en appel le duplicata du contrat d’assurance habitation, à effet du 22 mars 2007 à 0 heures, par lequel Mme A…a assuré sa résidence principale sinistrée ; qu’il produit également la quittance du 20 juillet 2010 par laquelle Mme A…accepte la somme de 18 041,05 euros (HT), soit 20 538,38 euros (TTC), en réparation des dommages du sinistre du 22 mars 2007 ; que Mme A…ne conteste pas le versement de cette indemnisation ; que la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux n’est, par suite, pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont regardé comme établie la subrogation légale de l’assureur Matmut à concurrence de 20 538,38 euros ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant que MmeA…, tiers par rapport à l’ouvrage public en cause, et son assureur ont recherché la responsabilité du syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand et de la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux à raison d’une rupture de canalisation d’adduction d’eau ;

5. Considérant qu’en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l’ouvrage, comme c’est le cas en matière d’affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante ; que ce n’est qu’en cas de concession d’un ouvrage public, c’est-à-dire d’une délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être recherchée par des tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de cet ouvrage ; que le délégataire ou la personne publique délégante ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ;

6. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal dactylographié de constatations du 4 juillet 2007, établi contradictoirement par toutes les parties et leurs assureurs, que la rupture d’une canalisation d’adduction d’eau souterraine est la cause des dommages affectant la propriété de Mme A…et qu’une fiche d’intervention de Véolia, datée du 22 mars 2007, fait état d’une fuite sur une canalisation en fonte grise, de diamètre 100 mm ; que ce même document, dans sa version manuscrite également produite, précise ” qu’une fuite importante sur la canalisation PVC de 100 mm sous le domaine public a provoqué l’inondation des pavillons avoisinants ” ; qu’ainsi, les dommages en cause résultent d’un défaut d’entretien, donc de fonctionnement de l’ouvrage, et non de sa seule existence ; qu’aucune stipulation du contrat d’affermage ne transférant la responsabilité des dommages imputables au fonctionnement au syndicat délégant, la responsabilité du délégataire exploitant est seule engagée, sans faute, et que le syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand doit être mis hors de cause ;

7. Considérant, toutefois, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que les conséquences de l’inondation ont été aggravées par le débordement de la cuve à fioul enterrée dans le terrain de MmeA…, dont le tube d’évent fixe comportait un orifice débouchant, non pas au-dessus du sol environnant, ainsi que l’impose l’article 10 des règles techniques de sécurité applicables au stockage de produits pétroliers dans les lieux non publics, mais dans un puisard situé sous le niveau naturel du terrain ; que cette non-conformité constitue une faute de la victime de nature à exonérer la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux de sa responsabilité à hauteur de 25 % ; qu’il y a donc lieu pour la cour de ramener, par l’effet dévolutif de l’appel, la part de responsabilité de la société Véolia Eau dans les dommages en cause à 75 % ;

Sur la réparation des préjudices :

8. Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal de constatations établi contradictoirement le 4 juillet 2007, que les préjudices subis par Mme A…s’élèvent à la somme de 30 367,18 euros ; que le montant global de la réparation doit être ramené, conformément au partage de responsabilité fixé au point 7, à la somme de 22 775,39 euros ; qu’il convient, en conséquence et compte tenu des sommes versées à Mme A… par l’assureur Matmut, soit 20 538,38 euros, de ramener l’indemnisation personnelle due à Mme A…à la somme de 2 237 euros ;

Sur les intérêts :

9. Considérant que Mme A…a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 2 237 euros à compter du 24 septembre 2010, date de réception par la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux de la demande préalable valant première sommation de payer ; que l’assureur Matmut a droit, pour la même raison, aux intérêts sur la somme de 20 538,38 euros à compter de la même date du 24 septembre 2010 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : ” Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ” ;

11. Considérant qu’en vertu de ces dispositions, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux, Mme A…et la société Matmut assurances doivent, dès lors, être rejetées ;

12. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 11 516,89 euros que la société Véolia Eau-compagnie générale des eaux a été condamnée à verser à MmeA…, par le jugement du 10 juillet 2012 du tribunal administratif de Rouen, est ramenée à 2 237 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2010.

Article 2 : La somme de 20 538,38 euros que la société Véolia Eau-compagnie générale des eaux a été condamnée à verser à la société Matmut assurances est maintenue à 20 538,38 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2010.

Article 3 : Le jugement n° 1003600 du 10 juillet 2012 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu’il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux, de Mme A…et de la société Matmut assurances est rejeté.

Article 5 : La société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux versera au syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Véolia Eau-compagnie générale des eaux, à Mme B…A…, à la société Matmut assurances et au syndicat intercommunal des eaux du Vexin normand.