La fraude au permis de construire interprétée strictement

La fraude au permis de construire interprétée strictement

Comme on le sait, le retrait d’un permis de construire peut être prononcé par l’administration en cas de fraude du pétitionnaire au moment du dépôt de sa demande. La jurisprudence rappelle que la fraude doit toutefois être suffisamment caractérisée et que la charge de la preuve pèse ici sur l’administration.

Comme on le sait, le retrait d’un permis de construire peut être prononcé par l’administration en cas de fraude du pétitionnaire au moment du dépôt de sa demande. La Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que la fraude doit toutefois être suffisamment caractérisée.

Dans le cas présent, le maire d’une commune avait retiré un permis de construire, délivré en vue de l’agrandissement d’une construction à usage d’habitation, dans la mesure où l’immeuble existant avait été totalement démoli et que le règlement du plan d’occupation des sols interdit la réalisation de constructions neuves.

La Cour rappelle tout d’abord la règle suivant laquelle il appartient à l’administration qui retire le permis de supporter la charge de la preuve de la fraude. La Cour relève ensuite que, à supposer même que la société pétitionnaire aurait eu, dès le dépôt de sa demande, l’intention de démolir la bâtisse existante et ainsi de ne pas respecter le permis dont elle demandait la délivrance, l’exécution de travaux non conformes au permis accordé, si elle constitue une infraction, ne pouvait suffire à caractériser rétroactivement une manoeuvre frauduleuse lors de la demande de cette autorisation. (Cf. C.A.A. Marseille 4 décembre 2014, Cne de Hyères les Palmiers, n°12MA02039)

 

Cf. extrait de l’arrêt ci-dessous:

Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2012 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille sous le n° 12MA02039, présentée pour la société Jenzi, dont le siège social est ZI Toulon Est, Rue des Frères Lumière à Toulon Cedex 9 (83087), par le cabinet d’avocats Berdah-Sauvan-Baudin ;

La société Jenzi demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1003012 du 5 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 5 août 2010 du maire d’Hyères-les-Palmiers qui a retiré le permis de construire qui lui avait été accordé le 17 avril 2007 ;

2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté du 5 août 2010 ;

3°) de mettre à la charge de Hyères-les-Palmiers une somme de 2000 ? au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 novembre 2014 :

– le rapport de Mme Josset, présidente assesseure,

– les conclusions de M. Salvage, rapporteur public,

– les observations de Me B…pour la société Jenzi et de Me A… pour la commune de Hyères-les-Palmiers ;

1. Considérant que le maire de la commune d’Hyères-les-Palmiers a délivré, le 17 avril 2007, à la société Jenzi, un permis de construire pour l’agrandissement d’une construction à usage d’habitation située sur les parcelles AM 0023 à 0026 sur le territoire de la commune ; que par procès-verbal du 30 avril 2009, le maire a fait constater la totale démolition de cet immeuble ; que la société ayant indiqué que le bâtiment existant avait été sinistré à la suite des fortes pluies de novembre 2008, la commune a mis en demeure la société de prouver par tous moyens l’existence de la construction lors du dépôt de la demande ; que la commune a, ensuite, par arrêté du 5 août 2010, prononcé le retrait du permis de construire délivré le 17 avril 2007, au motif que le règlement de la zone INC interdisait l’édification de constructions nouvelles et que les documents produits par la société à l’appui de la demande de permis de construire avait volontairement induit la commune en erreur et altéré son appréciation de l’état de la construction et de la nature des travaux projetés ; que la société requérante demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon du du 5 avril 2012 qui a rejeté son recours contre le retrait le 5 août 2010 du permis de construire délivré le 17 avril 2007 ;

Sur la recevabilité de la requête d’appel :

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : ” La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours. ” ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que croit pouvoir affirmer la commune de Hyères-les-Palmiers, la société Jenzi ne s’est pas bornée, dans sa requête d’appel, à reproduire intégralement et exclusivement le texte de ses différents mémoires de première instance ; qu’elle a critiqué le jugement attaqué et énoncé à nouveau l’argumentation qui lui paraissait devoir fonder l’annulation du retrait du permis contesté; que la requête satisfait ainsi aux exigences de motivation prévues par l’article R. 411-1 précité du code de justice administrative ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par la commune de Hyères-les-Palmiers doit être écartée ;

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

4. Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : ” Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (… ) ” ; que faute d’établir la date de notification de l’arrêté en litige du 5 août 2010, celle-ci est intervenue au plus tard le 10 septembre 2010, date du courrier adressé à la commune qui constitue, contrairement à ce que soutient celle-ci, un recours gracieux à l’encontre de cet arrêté ; que ce recours gracieux a été expressément rejeté le 27 septembre 2010 ; qu’ainsi la requête à fin d’annulation de l’arrêté du 5 août 2010, enregistrée au greffe du tribunal le 26 novembre 2010 n’était pas tardive ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme : ” (…) / Le permis de construire, (…), tacite ou explicite, ne peut être retiré que s’il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire ” ; qu’en outre, un acte administratif obtenu par fraude ne créant pas de droits, il peut être abrogé ou retiré par l’autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai qui lui est normalement imparti à cette fin serait expiré ;

6. Considérant, d’autre part, que l’article INC du règlement du plan d’occupation des sols interdit la réalisation de constructions neuves, à l’exception de celles liées et nécessaires à l’exploitation agricole ;

7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment des constatations de fait opérées par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 17 avril 2012, postérieur à l’intervention du jugement attaqué, auxquelles s’attachent l’autorité de la chose jugé, qu’à l’appui de sa demande de permis de construire, la société Jenzi avait ” produit deux photographies, l’une d’elle prise à plusieurs mètres du bâtiment et à contre jour, qui révèle que la bâtisse est vétuste et qu’elle est dotée de murs mais dont la toiture n’est pas visible, une seconde, qui montre un mur comportant un trou de porte et de fenêtre envahis par la végétation, qu’elle a ensuite produit, à la demande du service instructeur, une troisième photographie établissant que l’existant n’avait plus de mur pignon et avait perdu une grande partie de sa toiture ” ; qu’il ressort également de ces mêmes constatations de la Cour que ” cet état de l’immeuble est conforté par les clichés photographiques édités par google earth pris entre le 21 août 2006 et le 13 juillet 2007 qui révèlent que la construction en cause ne comporte plus de toiture ” ; que si comme le soutient la commune, et contrairement à ce qu’avait fait valoir la société Jenzi au cours de la procédure préalable au retrait du permis du 17 avril 2007, la toiture de la construction avait disparu avant les intempéries survenues en novembre 2008, l’ensemble des documents photographiques produits à l’appui de la demande de permis de construire permettaient au service instructeur d’apprécier l’état d’entretien de l’immeuble en 2007 et de se prononcer en toute connaissance de cause sur la demande d’autorisation de construire sollicitée ; que par ailleurs, à supposer que la société Jenzi aurait eu dès le dépôt de sa demande, l’intention de démolir la bâtisse existante et ainsi de ne pas respecter le permis dont elle demandait la délivrance, l’exécution de travaux non conformes au permis accordé, si elle constitue une infraction, ne saurait suffire à caractériser rétroactivement une manoeuvre frauduleuse lors de la demande de cette autorisation ; que, dans ces conditions, la commune d’Hyères les Palmiers qui n’établit pas que le permis de construire délivré en 2007 aurait été obtenu par fraude, n’a pu légalement le retirer après l’expiration du délai mentionné par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme précité ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Jenzi est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 5 août 2010 par lequel le maire de la commune d’Hyères-les-Palmiers a retiré l’arrêté du 17 avril 2007 lui délivrant un permis de construire ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : ” Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ” ;

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la société Jenzi, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, verse quelque somme que ce soit à la commune d’Hyères au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par la société Jenzi et de mettre à la charge de la commune d’Hyères-les-Palmiers la somme de 2000 euros au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Toulon du 5 avril 2012 et l’arrêté du 5 août 2010 du maire de la commune d’Hyères-les-Palmiers portant retrait de l’arrêté du 17 avril 2007 autorisant la société Jenzi à agrandir une construction existante sont annulés.

Article 2 : La commune d’Hyères-les-Palmiers versera à la société Jenzi une somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la commune d’Hyères-les-Palmiers tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Jenzi et à la commune de Hyères-les-Palmiers. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulon.